Le 25 septembre 2017,
Depuis trop longtemps, nous observons des dysfonctionnements graves dans les déclarations de mortalités : manque de diligence de l’administration, incrimination parfois trop rapide des maladies, absence d’informations sur les conclusions d’investigation, différences de traitement selon les départements, etc. Au point que nombre de nos collègues ne prennent plus la peine de déclarer les troubles.
Ces dysfonctionnements, dénoncés en région par les apiculteurs depuis de nombreuses années, ont été dévoilés au grand jour au cours des mois derniers au niveau national. A la suite de la parution d’un bilan officiel du ministère de l’Agriculture concluant que les maladies étaient les premières responsables des troubles déclarés par les apiculteurs, l’UNAF a produit une analyse critique de ce rapport, obligeant le ministère à lancer un audit avec l’ANSES. De son côté, la FFAP avait rapidement réagi en faisant paraitre un droit de réponse dans un journal agricole.
Aujourd’hui, le ministère est contraint de reconnaitre que le système actuel n’est pas une surveillance digne de ce nom. Cette surveillance va devoir être refondue. Nos organisations ont ouvert une brèche pour faire reconnaitre les dysfonctionnements et l’UNAF et la FFAP travaillent ensemble pour tracer les lignes d’un système futur qui réponde aux besoins et attentes des apiculteurs.
Rappel des faits
En novembre 2016, un article intitulé « Mortalité des abeilles, la surveillance officielle des mortalités massives aiguës des abeilles : bilan 2015 et perspectives » paraissait dans La Santé de l’Abeille, le journal de la FNOSAD. Fayçal Meziani, référent-expert national « Apiculture » rattaché à la Direction générale de l’Alimentation (DGAl) du ministère de l’Agriculture, concluait que la première cause de troubles déclarés par les apiculteurs était d’origine pathologique. A la suite d’un communiqué de presse du Réseau Biodiversité pour les Abeilles, cet article a été assez largement relayé par la presse et sur Internet [1] pour étayer la thèse selon laquelle les abeilles périssent bien des maladies et des pratiques apicoles, et exceptionnellement des pesticides.
Les résultats présentés dans ce bilan et leur exploitation par les promoteurs de pesticides ont fortement interpelé le monde apicole. La simple lecture du bilan officiel interrogeait sur la qualité de la démarche scientifique pouvant conduire à des résultats aussi grossiers. La FFAP a rapidement réagi en publiant un droit de réponse sur un des sites ayant repris l’information. L’UNAF a quant à elle demandé au ministère de l’Agriculture à disposer des tableaux de synthèse régionaux des déclarations de troubles, afin d’étudier les informations ayant servi de base à ce rapport. Ainsi, en mars 2016, l’UNAF publiait un droit de réponse dans La Santé de l’Abeille mettant en évidence de graves dysfonctionnements dans le système national de surveillance des mortalités d’abeilles et dénonçait ces carences dans la presse.
L’ANSES saisie pour auditer cette surveillance
Depuis lors, quelles ont été les suites données par le ministère ? Début mai, dans un article de La Santé de l’Abeille [2], la Direction Générale de l’Alimentation (DGAl - Ministère de l’Agriculture) nous apprenait qu’elle saisissait l’ANSES d’une évaluation du dispositif, reconnaissant dans un bel euphémisme les « limites du dispositif actuel ». Une équipe d’évaluation composée de représentants de l’ANSES et de la DGAl a ainsi mené courant mai et juin une série d’entretiens des acteurs de cette surveillance (apiculteurs, associations sanitaires apicoles, ADA, agents d’Etat, laboratoires d’analyse, etc.). L’UNAF a été auditionnée le 22 mai, dans les locaux de l’ANSES. Des représentants de la FFAP ont été auditionnés dans le cadre de leurs fonctions au sein des ADA. Dans un climat de bonne écoute et de dialogue constructif, nos représentants syndicaux ont pu détailler leur analyse et présenter les pistes de refonte de la surveillance identifiées comme incontournables.
Le rapport de l’ANSES sera rendu à la DGAl « au début de l’automne ». Il sera sans aucun doute sévère. Le 26 octobre prochain au matin, il sera présenté à la filière.
Une surveillance à refondre : que voulons-nous ?
Dès le 26 octobre, nous devrons être force de proposition pour une surveillance digne de ce nom. Voici nos réflexions.
- Une nécessaire redéfinition des objectifs autour des pesticides et des biocides
Aujourd’hui, les objectifs de la surveillance sont ambigus et éclatés entre le suivi des dangers sanitaires de catégorie 1 et le suivi… du reste (« causes chimiques ou non »). Une clarification des objectifs est indispensable, en la recentrant sur le suivi des effets des pesticides et biocides. En effet, les dangers sanitaires de catégorie 1 font déjà l’objet d’une surveillance et de procédures particulières. Par ailleurs, il appartient à l’Etat, qui encadre les autorisations de pesticides/biocides, d’en effectuer le suivi. Pour les pesticides, cette mission s’inscrit dans le cadre de la phytopharmacovigilance légalement définie. Pour les biocides utilisés dans les élevages d’animaux, cela devrait relever de la pharmacovigilance vétérinaire.
En outre, limiter la surveillance aux mortalités et dépopulations aigües [3] n’est pas satisfaisant, notamment car cela exclut les mortalités hivernales. Il faut donc l’étendre aux mortalités massives non aiguës.
L’Observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille (OMAA), actuellement en cours de construction et d’expérimentation, doit également s’intéresser à ces questions. Permettra-t-il d’apporter les réponses attendues ? Ce point devra être clarifié.
- Indispensable harmonisation territoriale de cette surveillance et nécessaire montée en compétence des agents intervenant pour l’Etat
Aujourd’hui, le système repose sur les services étatiques des départements et des régions (DD(CS)PP et SRAL), avec une coordination nationale exercée par le référent-expert national « Apiculture ». Selon les régions, on observe de nombreuses disparités dans la prise en charge des déclarations et dans la manière de mener les investigations, avec des régions qui semblent répondre correctement aux attentes des apiculteurs et d’autres qui les négligent. A titre d’exemple, certains départements disposent d’un agent administratif à mi-temps pour faire ce suivi, d’autres ne consacrent que 5% d’un emploi temps plein.
Les régions où le dispositif fonctionne sont celles où l’administration travaille en réseau avec les apiculteurs. L’administration répond mieux à leurs attentes et cela permet de donner confiance aux apiculteurs, qui seront plus disposés à déclarer des troubles.
Nos organisations demandent une organisation régionale du dispositif avec, selon la taille et l’activité apicole de la Région, 1, 2 ou 3 référents, correctement formés et dédiés au secteur de l’apiculture. Nous demandons par ailleurs qu’une coordination régionale du dispositif soit mise en place en association avec les apiculteurs.
- Indispensable amélioration de la qualité des protocoles et des diagnostics
Actuellement, il y a un défaut d’harmonisation territoriale dans les protocoles d’investigation et la manière d’établir les diagnostics. On constate également que ces différentes étapes sont parfois mal conduites et que les causes pathologiques sont trop souvent privilégiées sans fondement scientifique.
Les protocoles d’investigation devraient s’inspirer des travaux actuellement initiés dans le cadre de la plateforme OMAA [4] (méthode de prélèvement, diversification des matrices au-delà des seules abeilles en incluant les pains d’abeille et pollens de trappe, comparaison avec l’état de santé des autres ruches, etc.).
Les moyens analytiques doivent être réévalués. Il est important d’élargir la liste des laboratoires agréés par l’Etat à des établissements disposant de menus de molécules pertinents et capables de détecter et quantifier les pesticides les plus dangereux aux seuils les plus bas possibles.
Concernant les diagnostics, plusieurs points sont incontournables :
– le descriptif de la colonie et son comportement doivent faire partie intégrante du diagnostic. En effet, le diagnostic délaisse trop souvent la description des symptômes de la colonie (comportement aberrant par exemple). Par manque de connaissance de l’apiculture, les agents de l’Etat peuvent avoir tendance à ne statuer que sur les résultats analytiques et cela n’est pas satisfaisant ;
– dès que des résidus de pesticides sont retrouvés dans les matrices, les conclusions doivent faire mention de l’« intoxication possible », à côté des autres causes possibles ;
– les conclusions doivent aussi faire preuve d’honnêteté vis-à-vis des apiculteurs : trop souvent, une analyse toxicologique vierge débouche sur un diagnostic d’origine pathologique alors qu’aucun indice ne permet de l’affirmer. Si à l’issue des investigations, les services de l’Etat ne savent pas établir de diagnostic, ils doivent le dire ;
– pour les cas complexes, les services de l’Etat doivent se faire aider d’un écotoxicologue.
- La coordination nationale de la surveillance doit être revue et doit associer les syndicats d’apiculteurs
A l’heure actuelle, les syndicats nationaux d’apiculteurs ne sont pas associés ni consultés sur le fonctionnement de ce dispositif au niveau national. Une fois par an, on voit paraitre un bilan annuel. Pour le moment, il n’existe donc aucun espace national de dialogue entre administration et apiculteurs sur le sujet.
Nos organisations demandent la mise en place d’un comité de suivi de cette surveillance, associant les syndicats apicoles. Son rôle sera notamment de discuter du bilan annuel du dispositif.
- Une réévaluation du nouveau dispositif au bout de 3 ans
Les mortalités d’abeilles font l’objet d’une « surveillance nationale » depuis plus de 20 ans. Pourtant, nous ne sommes pas en mesure d’exprimer en quoi cette surveillance a été utile à l’apiculture et a permis de remédier à des situations individuelles ou collectives difficiles. A notre connaissance, l’audit de l’ANSES est la première évaluation de cette surveillance et cela explique comment un système aussi défaillant a perduré autant d’année.
C’est pourquoi, nous demandons que le futur dispositif soit évalué au bout de trois ans, pour lui permettre de s’adapter aux réalités de terrain. Les syndicats apicoles devront être partie prenante de cette évaluation.
- Le nerf de la guerre : des budgets à renforcer
Nos organisations syndicales n’ont pas obtenu les informations sur les budgets dédiés à cette surveillance à l’heure actuelle. Une réorganisation pourrait permettre d’optimiser l’utilisation des budgets alloués à la surveillance… Mais en tout état de cause, un suivi digne de ce nom devra envisager de renforcer l’enveloppe budgétaire, c’est incontournable, ne serait-ce que pour conduire les nombreuses analyses toxicologiques des matrices apicoles. A titre indicatif, pour réaliser des analyses correctes, il faut compter entre 1500€ et 2000€ par dossier.
Il n’appartient pas au contribuable de financer les coûts de la gestion de la mise sur le marché des pesticides, mais à l’entité qui bénéficie de cette mise sur le marché.
Nos organisations demandent qu’une partie du produit de la taxe destinée à financer la phytopharmacovigilance (prélevée sur la vente des pesticides) soit réaffectée au fonctionnement de la surveillance des mortalités d’abeilles et à la recherche de leurs causes.
Nicolas Guintini, pour la FFAP
Gilles Lanio, Président de l’UNAF