En tant qu’apiculteur professionnel dans le nord de la France, gérant 300 ruches et 800 colonies, j’ai traversé une période difficile, comme beaucoup de mes collègues apiculteurs à travers l’Europe. Le marché européen du miel est en crise depuis plusieurs années et les défis auxquels nous sommes confrontés atteignent aujourd’hui un point critique. Une combinaison de facteurs, tels que l’afflux d’importations bon marché, un marché inondé de miel frelaté, l’impact du changement climatique ainsi que les espèces envahissantes et les parasites, a mis le secteur apicole à genoux, menaçant nos moyens de subsistance.
Mes collègues et moi-même, au Copa-Cogeca, n’avons cessé de tirer la sonnette d’alarme sur le scandale de l’adultération du miel et, aujourd’hui, je me sens obligée d’en parler à nouveau parce que la situation est devenue catastrophique.
En réponse aux préoccupations croissantes concernant le frelatage du miel, l’UE - à la demande de mes collègues et de moi-même - a commencé à prendre des mesures importantes pour s’attaquer à ce problème. Le renforcement des contrôles aux frontières et la révision de la directive sur le miel ont constitué des avancées significatives pour la sauvegarde des apiculteurs européens et la promotion d’un marché plus équitable et plus transparent. Toutefois, nous sommes encore loin d’atteindre l’objectif que nous avons proposé, à savoir 0 % d’adultération d’ici à 2030.
C’est pourquoi nous attendons beaucoup du prochain groupe d’experts de la plateforme européenne du miel, qui doit identifier des moyens efficaces de mettre en œuvre les outils dont nous avons tant besoin. Nous avons besoin d’un système de traçabilité solide pour mieux contrôler la chaîne d’approvisionnement du miel et détecter les cas de fraude.
En outre, l’amélioration des normes de qualité utilisées pour évaluer le miel, ainsi que l’établissement d’un laboratoire de référence européen pour mettre à jour et harmoniser les méthodes d’analyse et les résultats, sont des étapes cruciales.
Toutefois, avant toute chose, il est essentiel que tous les États membres mettent en œuvre le nouvel étiquetage du pays d’origine avec l’indication obligatoire sur l’étiquette frontale du pot de tous les pays d’origine du miel avec leur pourcentage exact dans le mélange, et ce sans aucune dérogation possible selon laquelle seuls les pourcentages des quatre parts les plus importantes seraient requis lorsqu’ils représentent plus de 50 % du mélange. Cette transparence est essentielle pour regagner la confiance des consommateurs et sauvegarder notre secteur.
Ceci est d’autant plus important à la lumière des derniers chiffres du marché. Au cours du premier semestre 2024, le prix moyen du miel importé dans l’UE n’était que de 2,17 euros par kilogramme, soit une baisse de 14 % par rapport à l’année précédente. Le miel chinois et ukrainien représente plus de 70 % de ces importations, à des prix scandaleusement bas de 1,28 €/kg et 1,75 €/kg, respectivement. Dans le même temps, la production d’un kilogramme de miel nous coûte entre 3 et 4 euros. Cet écart de prix considérable nous empêchant d’être compétitifs, il n’est pas surprenant que notre miel s’accumule dans les entrepôts, invendu.
Nous nous demandons toujours comment le miel peut être vendu à un prix aussi bas tout en restant rentable. Dans certains pays, en particulier ceux qui sont les plus exposés au commerce international, les apiculteurs sont contraints de baisser leurs prix pour rester dans la course. Nombre d’entre eux luttent pour atteindre le seuil de rentabilité, et la situation est particulièrement désastreuse pour les apiculteurs commerciaux. Si nous sommes évincés du marché, les conséquences pour la production de miel, les services de pollinisation et les économies locales pourraient être dévastatrices.
Sans un soutien urgent, les apiculteurs européens ne survivront pas sur ce marché de plus en plus hostile. Si aucune mesure n’est prise, l’apiculture pourrait devenir un simple passe-temps et l’Europe risque de perdre son rôle de producteur clé de miel, devenant simplement une plaque tournante pour le traitement du miel importé.
Compte tenu de l’absence d’instruments juridiques efficaces pour nous soutenir en période de crise exceptionnelle, il est temps que les États membres prennent les devants et créent des mesures de soutien au niveau national pour protéger les apiculteurs et assurer la longévité et la durabilité du secteur du miel.
Nous sommes encouragés par le fait que la présidence hongroise ait inscrit l’apiculture à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CSA en novembre. Il faut maintenant que les États membres saisissent cette occasion, qu’ils relèvent les défis auxquels nous sommes confrontés et qu’ils travaillent à des solutions durables qui garantissent un avenir à l’apiculture européenne.
Yvan Hennion - Président du groupe de travail « Miel » du Copa-Cogeca, apiculteur
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