Une trentaine de représentants de la société civile appellent Emmanuel Macron et les ministres Nicolas Hulot, Agnès Buzyn et Stéphane Travert à maintenir le principe ferme d’une interdiction totale des insecticides néonicotinoïdes, qui constituent l’une des pires menaces pour la biodiversité planétaire.
Tribune publiée le 25 août 2018 dans Libération.
Les insecticides néonicotinoïdes constituent avec certitude une des pires menaces pour la biodiversité planétaire : pour enrayer la catastrophe écologique en cours, il est impératif de les interdire définitivement, dès maintenant. Cette petite famille d’insecticides neurotoxiques est parmi la plus toxique jamais synthétisée. Utilisés de manière préventive, les néonicotinoïdes représentent près de 40% du marché mondial. Ils sont très persistants, contaminent tout l’environnement (plantes, air, sols, eaux) et empoisonnent tous les invertébrés. De plus, ils finissent dans nos verres et nos assiettes alors que des études montrent des impacts sur la santé humaine lors d’une exposition chronique.
En effet, en dépit des dénégations des firmes qui les produisent, les néonicotinoïdes possèdent une écotoxicité inégalée pour les insectes, qui aurait dû empêcher leur homologation pour un usage systématique en agriculture. Ces insecticides systémiques rendent les plantes traitées nocives pour les espèces bénéfiques, mais aussi les plantes alentour ou les plantes à venir. Les premiers impacts concernent toute l’entomofaune, à commencer par les pollinisateurs. Dès leur arrivée sur le marché français, les premiers dommages ont été rapportés par les apiculteurs sur les floraisons de tournesol puis, au fur et à mesure de leur usage grandissant, sur les autres cultures. Le même phénomène s’est produit en 2006 en Amérique du Nord avec le syndrôme d’effondrement des colonies abeilles, alors que le marché américain ne s’est véritablement lancé sur les néonicotinoïdes que l’année précédente.
Disparition d’un tiers des oiseaux des champs
Depuis plus de vingt ans, la communauté scientifique sans conflit d’intérêt n’a cessé de lancer des alertes. La dernière initiative est une lettre ouverte de 233 scientifiques internationaux, publiée le 1er juin dernier dans la revue Science. Or les quantités de ces insecticides n’ont cessé d’augmenter, alors que les chercheurs accumulaient les preuves de leur toxicité et de leurs impacts aussi graves qu’inacceptables sur les écosystèmes. Plus largement l’état de la biodiversité est maintenant critique : effondrement des trois quarts de la biomasse des insectes volants en vingt-sept ans ; menace sur la pollinisation des trois quarts des cultures qui font la diversité de notre alimentation. Ces chiffres attestent d’une catastrophe en cours.
Parce que l’avifaune est très majoritairement insectivore, la raréfaction des insectes a déjà généré la disparition d’un tiers de nos oiseaux des champs. Aux Pays-Bas, les impacts de la contamination des cours d’eaux à l’imidaclopride réduisent chaque année les populations d’oiseaux communs. Où sont nos moineaux, alouettes et hirondelles ? Nous pouvons envisager les mêmes effets chez les reptiles et les amphibiens.
La France a pris une position pionnière pour la sauvegarde de la biodiversité planétaire avec la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et l’amendement sur l’interdiction des néonicotinoïdes. Cette interdiction doit entrer en vigueur le 1er septembre 2018. Cet engagement a été élargi dans le « plan biodiversité » présenté début juillet, dont l’action 23 entend interdire « tous les insecticides contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille néonicotinoïdes ». Il est en effet primordial que les effets toxiques de ces néonicotinoïdes cessent aussi vite et aussi complètement que possible. Il est donc essentiel qu’aucune dérogation d’aucune sorte ne soit négociée.
Monsieur le président Emmanuel Macron, madame et messieurs les ministres Nicolas Hulot, Agnès Buzyn et Stéphane Travert, alors que l’Union européenne, la Suisse, le Canada et les Philippines prennent des mesures qui suivent celles de la France, notre pays doit rester un modèle pour le monde entier en appliquant une interdiction ferme et définitive aux pesticides néonicotinoïdes !
Mieux, il s’agit d’une opportunité pour enclencher une mutation définitive vers une agriculture de qualité et respectueuse de l’environnement. Investissez, soutenez et développez les alternatives non chimiques aux pesticides : elles existent ! Prétendre que l’absence d’alternative ne permet pas de se passer de ces pesticides n’est plus recevable. C’est l’acharnement à poursuivre qui est irresponsable. Le futur intrinsèquement mêlé de la biodiversité et de l’humanité se joue ici et maintenant.
Signataires : François Ramade, professeur émérite d’Écologie et de zoologie à l’université de Paris-Saclay, président d’honneur de la Société française d’écologie et de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) ; Maarten Bijleveld van Lexmond, biologiste et conservateur, ancien CEO de la Commission d’écologie de l’UICN, président de la Task Force on Systemic Pesticides (TFSP) ; Rémi Luglia, historien associé à l’université de Caen, président de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) ; Gilles Lanio, apiculteur, président de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ; Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture (SNA) ; Agnès Michelot, enseignant-chercheur à l’université de La Rochelle, présidente de la Société française pour le droit de l’environnement (SFDE) ; Michel Dubromel, président de France nature environnement (FNE) ; Christophe Eggert, directeur de la Société herpétologique de France (SHF) ; Christian Arthur, président de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) ; Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) ; Isabelle Autissier, présidente du WWF France Jérôme Dehondt, porte-parole paysan du Mouvement inter-régional des Amap (MIRAMAP) ; Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France ; Laurent Péru, président de l’Office pour les insectes et leur environnement (Opie) ; Julie Potier, directrice générale de Bio Consom’Acteurs ; Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne ; Gilles Huet, délégué général de Eau et Rivières de Bretagne ; François Veillerette, directeur de Générations Futures ; Henri Rouillé d’Orfeuil, Académie d’agriculture de France ; Jacques Caplat, secrétaire général d’Agir pour l’environnement ; Françoise Vernet, présidente de Terre et Humanisme ; Arnaud Apoteker, délégué général de Justice Pesticides ; Béatrice Robrolle, présidente de Terre d’abeilles ; Marc Giraud, Écrivain et chroniqueur animalier, président de l’Association pour la protection des animaux aauvages (ASPAS) ; Quentin Deligne, co-porte-parole de la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP).