Argumentaire pour interdire les traitements de semences sur céréales d’hiver

, par  FFAP

Interdire le traitement des semences des céréales d’hiver avec l’IMIDACLOPRIDE, un néonicotinoïde : une urgence pour les abeilles

Les abréviations utilisées :

TS traitement des semences

NN néonicotinoïde

IMI imidaclopride

TS-IMI traitement des semences avec l’imidaclopride

TS-CLO traitement des semences avec la clothianidine

TS-NN traitement des semences avec des néonicotinoïdes

Les céréales d’hiver occupent 7,215 millions d’hectares en France, soit 51,5% de la surface totale des grandes cultures (céréales à paille + maïs-grain + oléo-protéagineux + betteraves + pommes de terre + maïs fourrage)
 statistiques du ministère de l’agriculture - 01.05.15 : estimation semis 2015

Contrairement à ce qui se pratique au Royaume Uni ou aux USA, l’administration française refuse de communiquer les quantités exactes de semences traitées avec des néonicotinoïdes, culture par culture.

Cependant, les données disponibles permettent d’estimer que 70 % des semences des céréales d’hiver sont traitées avec de l’imidaclopride.

Partant de valeurs moyennes pour le PMG (poids par mille grains) et la densité de semis de céréales d’hiver, nous calculons que leur TS représente une dose moyenne de 130 g d’imidaclopride/ha, soit un dosage des plus élevés parmi les nombreux usages autorisés de l’imidaclopride (en comparaison, le TS du tournesol, interdit depuis 1999, correspondait à un dosage de 50 g/ha).

Si l’on compare à la DL 50 [1], valeur-référence de la toxicité aiguë, cette quantité de 130 g d’imidaclopride/ha de céréales TS, représente autant de fois la DL50 qu’il y a d’abeilles en France.

  • On estime la superficie de céréales d’hiver TS-IMI à 5 millions d’hectares. 1 hectare de céréale TS-IMI représente une quantité de 130 g d’imidaclopride : cette quantité suffit à tuer en 48 h la moitié des 35 milliards d’abeilles françaises.

L’exposition directe de l’abeille aux poussières de semis de céréales TS-IMI

Le principal argument de vente des céréales TS-IMI est que ce TS permet de semer précocement et ce, sans dommage : en effet, l’imidaclopride systémique tue tout insecte piqueur de la jeune plante, et en particulier le puceron, vecteur potentiel de viroses, très mobile encore en première moitié de l’automne.

Gagner en précocité faciliterait le travail des cultivateurs quand ils exploitent des terres difficiles d’accès en automne humide.

Cet argument de l’amélioration des conditions de travail, associé à des méthodes de commercialisation très agressives (la vente forcée est le plus souvent la règle !), font que le semis précoce de céréales TS-IMI s’est largement répandu.

Conséquence : des semis avancés au début de l’automne, à une période où les abeilles connaissent encore une réelle activité.

  • En Allemagne, au printemps 2008, des milliers de ruches ont péri suite à une exposition aux poussières de semis de maïs TS-CLO. Sensibles à cette hécatombe, les autorités allemandes se sont également intéressées aux poussières de semis d’autres végétaux TS-NN, tels les céréales TS-IMI.
    Les premières mesures (2008) de l’Institut de recherches culturales Julius Kühn (JKI) ont révélé des taux de poussières souvent très élevés ; aussitôt, la décision a été prise de suspendre les TS-IMI des semences de céréales.
    Depuis, les travaux de l’Institut allemand ont permis de réduire sensiblement les quantités de poussières émises.
    Pour autant, le ministre fédéral de l’agriculture a estimé que le risque pour l’abeille n’est toujours pas acceptable, et il n’est pas revenu sur ses décisions de 2008 : suspension de l’utilisation des néonicotinoïdes en TS sur toutes céréales (y compris sur maïs).
    L’Allemagne a intégré dans son analyse que le TS-IMI incitait à des semis de céréales d’hiver trop précoces, à des périodes pendant lesquelles les abeilles sont encore très actives, les exposant ainsi à des poussières de semis toxiques.
  • La réaction des autorités françaises s’est limité à l’adoption d’un « Plan Poussières » pour le seul maïs (moins d’1 million d’ha concernés, pour une dose de 65 g de thiaméthoxam/ ha). Elles ont fait l’impasse totale sur les risques pour l’abeille exposée aux poussières de semis de céréales d’hiver TS-IMI.
  • La moitié des surfaces de céréales à paille est emblavée avec des semences de ferme (source : CNDSF- chiffres 2002-05).

Pour l’enrobage IMI de ces semences de ferme, Bayer propose la spécialité Férial (Férial Duo FS, IMI + fongicide), identique en composition à la spécialité Gaucho 350 (ou Gaucho Duo FS), réservée aux usines de traitement (liées aux semenciers et grosses coopératives).

Le plus souvent, le Férial est appliqué par un trieur à façon dans les cours de ferme, à l’aide d’une station mobile de triage et de pelliculage de la semence. Les conditions de travail y sont aléatoires (vent, pluie ou soleil parfois excessifs), la station est souvent peu performante (dépoussiérage des semences avant pelliculage, réglage arbitraire du dosage, séchage des semences après traitement, collages supplémentaires comme en process industriel...).

Au titre de la protection de l’environnement et des populations environnantes, aucun dispositif n’est prévu pour mesurer le niveau de largages toxiques tout au long du chantier d’enrobage.

Le traitement Férial effectué par un trieur à façon agréé, se fait dans des conditions telles que lors du semis, on peut craindre le largage de poussières (fonds de sac, abrasion dans le semoir..) contaminées à hauteur de 10 g d’imidaclopride / ha, comme l’ont constaté les chercheurs allemands du JKI en 2008-09.

L’enrobage des semences peut aussi être effectué par l’agriculteur lui-même ; pour ce faire, il ne dispose le plus souvent que d’une bétonnière, voire d’un arrosoir et d’une bâche d’ensilage ! On peut imaginer la pollution engendrée tant lors du traitement que lors de la mise en terre de ces semences de ferme enrobées artisanalement.

Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, le Férial est en vente libre pour tout cultivateur sans que personne ne se soucie de savoir :

  • comment et dans quelles conditions le produit est appliqué sur la semence,
  • si le pelliculage aura une adhérence suffisante,
  • si le produit sera réservé aux seules céréales à paille pour lesquelles il est autorisé.

Afin de préserver les abeilles des risques induits par l’exposition aux poussières de semis, l’Allemagne maintient l’interdiction d’utiliser des néonicotinoïdes en TS sur toutes céréales (y compris sur maïs) depuis 2008.

La France, quant à elle, ignore les travaux, les analyses et les décisions des allemands.

50% des semences de céréales d’hiver sont des semences de ferme, lesquelles sont triées et traitées dans les cours de ferme, majoritairement avec du Férial, identique au Gaucho 350.

Le contrôle des bonnes pratiques et du bon usage des 300 tonnes d’imidaclopride que nous estimons être écoulées sous la dénomination Férial, est quasi-inexistant.

Les voies d’exposition indirectes de l’abeille à l’imidaclopride des TS de céréales

Le TS-IMI incite à semer précocément les céréales d’hiver. Ces semis sont toujours accompagnés de poussières toxiques, à des niveaux létaux pour l’abeille qui les traverse.

In fine, ces poussières seront captées par les eaux et les sols, mais aussi par la végétation. Dans ce dernier cas, l’imidaclopride (translaminaire) peut être résorbé par la plante, mais peut aussi contaminer directement l’abeille qui la visite (exposition létale).

Les propriétés spécifiques (systémie [2] et grande persistance [3]) de l’imidaclopride et des autres NN, mises en avant pour lutter contre les ravageurs des cultures, induisent des effets dévastateurs pour toute la faune non-cible, dans la mesure où on n’en maîtrise ni la distribution, ni le devenir dans tous les compartiments de l’environnement, étant donné sa persistance hors-norme.

Conséquences pour l’abeille : les voies d’exposition et les risques de contamination se sont multipliés, et se juxtaposent souvent.

Quelques exemples pour illustrer ce constat :

  • Pour augmenter les chances de survie des abeilles en zone de grandes cultures, on sème des cultures intermédiaires mellifères (CIM), aussitôt les blés battus. Sont attendues des ressources supplémentaires (pollen et nectar) pour l’abeille avant la période hivernale, quand la colonie est encore active.

Cependant, implantées dans des terres à antécédents céréales à paille, à 70% TS-IMI, pollen et nectar des ces CIM seront contaminés.

Pendant cette floraison, des semis de céréales d’hiver TS-IMI ont lieu dans ces zones de grandes cultures, contaminant directement les abeilles ou indirectement via les CIM ou autres ressources, polluées par les poussières de semis.

  • Avec l’usage généralisé des TS-IMI, de nombreux champs de plantes juvéniles de céréales d’hiver sont présents avant la fin octobre, alors que les abeilles sont toujours actives, récoltant notamment de l’eau (ressource indispensable pour la colonie).
    L’eau de guttation [4] secrétée quasi quotidiennement par ces jeunes plants est contaminée à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de ppb d’imidaclopride (taux variable en fonction de l’âge de la plante).

De nombreuses observations existent, dont des témoignages filmés montrant l’abeille en train de prélever des gouttelettes d’eau de guttation sur céréale d’hiver.

Si la plante est TS-IMI, l’abeille ramènera à la colonie une eau toxique, car chargée de plusieurs centaines de ng d’imidaclopride.

  • Le tournesol est implanté dans 80% des cas sur un précédent de céréale à paille (cf. CETIOM, Poitou-Charentes-Vendée).

Dans plus de 50 % des cas, le tournesol est contaminé par l’imidaclopride résiduel issu des cultures de céréales TS-IMI précédentes. L’intérêt apicole du tournesol, se situant à 2 stades de sa végétation (en juin sur secrétions extraflorales, en juillet sur nectar et pollen), les abeilles s’intoxiquent sur tournesol à 2 reprises.

  • En début d’été, le battage puis le déchaumage des céréales à paille s’accompagnent de nuages de poussières plus ou moins importants et tenaces, selon les conditions locales du chantier (météo, sécheresse des sols, matériels utilisés, variété de céréales,…).
    Ces nuages de poussières (terre et paille) sont susceptibles de contenir d’importantes quantités d’imidaclopride ou autre NN selon les antécédents culturaux TS de la parcelle (la demi-vie [5]e l’imidaclopride peut dépasser 1an, celle de la clothianidine plusieurs années).
    Dans le cas de cultures de céréales TS-IMI, les pailles desséchées sont chargées à hauteur de 50-70 ppb d’imidaclopride (cf. Bayer, dossier demande d’homologation).
    Ces opérations en zones de grandes cultures coincident avec la floraison du tournesol, très fréquenté par les abeilles.
    La concomitance des sources de contamination pour l’abeille : les poussières de paille et de sols d’une part, nectar et pollen de tournesol d’autre part, peut expliquer l’effondrement des colonies en l’espace de 3 à 10 jours selon l’année.
    Ainsi en ce tout début juillet 2015, dans le Centre-Ouest et le Sud-Ouest, la miellée de tournesol, a été brutalement interrompue après seulement 3-4 jours, avec chute flagrante des populations, dès lors que la plupart des céréaliers ont moissonné, avec 1 semaine d’avance par rapport à une année moyenne.


Via différentes voies de dissémination et d’expression, le TS-IMI des céréales à paille est responsable d’épisodes successifs d’intoxications des abeilles, tout au long de la saison apicole.

Le constat est d’autant plus inquiétant que les céréales d’hiver TS-IMI occupent un tiers de la surface consacrée aux grandes cultures en France et que le pesticide concerné est reconnu parmi les plus toxiques pour la faune non cible en général, et pour l’abeille en particulier.

Le TS-IMI des céréales à paille : indispensable pour assurer les rendements ?

L’Institut du Végétal français (Arvalis) considère que « le traitement de semences avec un insecticide systémique se justifie essentiellement sur les semis précoces (fin septembre, jusque mi-octobre) et principalement sur orge. »

Sachant que les orges ne représentent qu’un sixième des surfaces emblavées en céréales d’hiver, on ne peut que constater que les préconisations d’Arvalis ne sont pas suivies, dans la mesure où nous estimons que 70% des céréales d’hiver sont TS-IMI.

L’Allemagne est avec plus de 5 millions d’ha, le deuxième producteur de céréales d’hiver (blés, orges) en Europe, après la France.

Pour s’assurer des rendements optimaux sur céréales d’hiver sans recourir aux TS-IMI, l’Allemagne s’appuie sur quelques principes agronomiques bien éprouvés :

  • Semer plus tard c’est diminuer, voire éliminer le risque d’attaques de pucerons, vecteurs potentiels de viroses (tant que la parcelle n’est pas semée, on peut la préserver de repousses de graminées attractives pour le puceron, par travail mécanique ou par implantations de cultures intermédiaires / on évite d’éventuels vols importants des pucerons, délogés des champs de maïs-grain lors de leur récolte souvent courant octobre / on retrouve les conditions météo défavorables à l’activité des pucerons )
  • Si nécessaire, il est possible de traiter la culture avec un aphicide par pulvérisation.
    Contrairement à ce que la propagande de Bayer affirme, le TS-IMI n’est pas une approche plus écologiquement responsable pour lutter contre les pucerons sur céréales à paille :
    > la quantité d’imidaclopride utilisée par ha est de 130 g, contre moins de 10 g pour une pyréthrinoïde de synthèse classique ;
    > le recours au TS se décide dès août, lors de la commande des semences ; à ce moment-là, il est impossible de savoir s’il y aura ou non des attaques de pucerons dommageables en début d’automne.

Depuis 2008, l’Allemagne a su conserver son rang de deuxième producteur de céréales d’hiver en Europe, alors qu’elle a renoncé à l’utilisation des semences TS-IMI.

Elle a estimé que si les abeilles continuaient à décliner, elle aurait beaucoup plus à perdre en terme de déficit de productions agricoles, comparé à un hypothétique affaiblissement de l’un de ses plus importants industriels.

Les pouvoirs publics français, quant à eux, s’en tiennent à des discours contradictoires :

 ils prétendent enrayer le déclin des abeilles, mais sans jamais s’attaquer à la cause majeure des sur-mortalités : la dissémination massive des néonicotinoïdes, en premier lieu via les TS-IMI sur céréales d’hiver.

 Ils promeuvent l’agro-écologie mais continuent d’autoriser des molécules reconnues très toxiques par toute la communauté scientifique, comme ils ne remettent pas en cause le recours aux traitements de semence - par définition traitements systématiques - pratique absolument contraire aux principes de l’agro-écologie.

[1DL50 = la dose ingérée par chacune des abeilles d’une cohorte testée provoquant après 48 h la surmortalité de la moitié de la cohorte.

[2Capacité de circuler dans le système vasculaire de la plante = présence dans tous les tissus, jusqu’aux parties florales

[3Durée d’action d’un produit après son application

[4goutelettes d’eau formées par pression racinaire, apparaissant à l’extrémité des feuilles de végétaux à la fin de la nuit ; à ne pas confondre avec la rosée

[5Temps au bout duquel la moitié de la molécule initiale aura disparu d

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